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Sénégal: La spirale de la crise alimentaire mondiale et la montée des périls au pays

Les nombreuses difficultés du Sénégal risquent de devenir de plus en plus inextricables devant la montée en puissance des périls alimentaires dont l’accélération fait entrevoir à l’horizon, le spectre d’émeutes de la faim.

En plus des perspectives déjà sombres de l’économie mondiale résultant de la crise durable qui sévit dans les pays de l’OCDE (crise de la dette souveraine, crise de la croissance, crise de l’EURO) et de ses impacts négatifs sur nos économies au Sud du Sahara (arrimage du CFA à l’EURO, baisse des investissements directs étrangers et du volume des échanges commerciaux, contraction des flux de capitaux envoyés par les sénégalais de l’extérieur), le Sénégal connaitra probablement des complications par suite du très mauvais comportements des productions agricoles mondiales de l’année en cours.

En dépit des mesures coercitives et de relance de l’activité économique globale dans lesdits pays de l’OCDE, les éclaircis tardent à se manifester, alors qu’au même moment les productions céréalières mondiales se sont rétrécies considérablement pour atteindre un déficit de l’ordre de 30 milliards de tonnes, engendré par les effets négatifs sur les récoltes du changement climatique (sécheresse dans certains cas et inondations dans d’autres).

Les USA qui assuraient la moitié des exportations mondiales de mais et du blé consacreront le peu de récoltes disponibles cette année pour reconstituer ses réserves stratégiques à leur plus bas niveau historique ;La Russie a connu le même phénomène d’une sévère sécheresse au point qu’elle réservera le peu de quantités disponibles de céréales à la nourriture de sa population.si bien que les cours se soient envolés pour être proches des niveaux explosifs de 2008,de l’ordre de 30% à 50%.

La conjugaison de la profonde crise économique mondiale, consécutivement à des politiques ultra libérales du capitalisme bancaire avec les effets du changement climatique, conduit l’humanité vers des déséquilibres et perturbations des marchés ; Pire, le contexte économique mondial défavorable, a tendance à orienter les nations de ce monde vers des replis identitaires et d’auto survie, provoquant des désorganisations des systèmes et accentuant d’avantage les instabilités dans le commerce mondial.

Au niveau de l’OMC, certaines pratiques protectionnistes et de concurrence déloyale prennent de plus en plus de l’ampleur, lesquelles pratiques nous fait penser aux nouveaux accords de partenariat économique dont l’UE voulait faire avaler la pilule amère à l’Afrique dans l’objectif de s’octroyer des zones d’influence exclusive afin de se protéger contre la concurrence des nouvelles puissances économiques comme la Chine, l’Inde ou le Brésil. Il s’y ajoute la volonté des pays de l’OCDE de sortir de la tyrannie du pétrole par une croissance des surfaces arables pour la culture du bio carburant, ce qui d’autant réduit l’offre mondiale de biens alimentaires et favorise l’explosion des cours mondiaux.

Le paradoxe en est que, la lutte contre le changement climatique pour l’élimination des effets de serre et de la pollution atmosphérique par la réduction de la consommation du pétrole et de l’utilisation du nucléaire pour une énergie alternative propre avec les agro carburants, bien que salutaire, diminue par ricochet l’exploitation des surfaces arables pour la production de biens alimentaires.

De sorte que la volonté de réduire la dépendance sur au pétrole et au nucléaire au profit des agro carburants dans les pays de l’OCDE, modifie les enjeux stratégiques dans les relations internationales dans le sens d’un retour vers le vieux continent et, particulièrement, vers le Sahel où existent de vastes plaines propices à la culture intensive des bio carburants. Cette option nouvelle privilégie la satisfaction des besoins secondaires et de luxe par rapport à la satisfaction des besoins primaires dont nous sommes loin d’atteindre l’objectif en Afrique .

Pourtant, malgré les sécheresses et inondations compromettant dangereusement la production de biens alimentaires dans le monde, certains grands pays pollueurs du monde refusent toujours de ratifier le protocole de Kyoto pour maintenir leur arsenal industriel classique ; Toutefois , avec les effets néfastes subis, ils deviennent de plus en plus enclins à ratifier le protocole (sommet de Durban), tout en essayant de transférer les méfaits de la substitution de l’énergie classique par l’énergie verte en terre africaine .

L’Afrique ne devrait pas sacrifier ses terres au profit de la culture des bio carburants sous l’autel de l’alimentation des machines des puissances industrielles, tandis que ces dernières conserveront leur espace vitale à la culture de biens alimentaires. C’est ainsi que la Suède envisage d’assurer son indépendance énergétique en 2020, de même que l’Allemagne fédérale et la France , au point qu’il aurait fallu consacrer tout le territoire de ces trois pays à la culture du colza pour supprimer leurs importations de pétrole ;Mais, l’exigence d’assurer la couverture alimentaire des populations de ces trois pays et la nécessité de recourir à l’énergie verte, ont conduit les gouvernements à édicter un code d’utilisation et d’affectation des terres afin de préserver les équilibres nécessaires de la biodiversité .

L’heure est devenue grave, surtout dans nos pays sahéliens à situation alimentaire précaire et à faible revenu vers lesquels les multinationales et puissances d’argent, en mal de disposer de terres arables dans leur pays pour la production d’une énergie verte, reviennent à grandes enjambées pour recoloniser l’Afrique afin d’assurer leur survie devant le changement climatique.

Le drame du Sénégal, c’est la double dépendance, presque totale, alimentaire et énergétique, renforcée par la faillite de la production agricole nationale et les déséquilibres dans les marchés, surtout pendant les douze années de magistère du précédent régime libéral pendant lesquelles le Président Wade aurait pu faire beaucoup de choses dans la perspective de la réalisation de notre souveraineté alimentaire.

Le choc alimentaire et le choc énergétique qui risquent de s’amplifier, pouvaient être jugulé, sinon atténué, si des mesures préventives de priorisation de l’économie rurale avaient été très tôt prises à la suite des émeutes de la faim de 2007,en consacrant par une part plus importante du budget national au secteur primaire et à la production d’une énergie alternative à l’énergie thermique ;cette éventualité nous aurait permis de réduire d’avantage notre dépendance alimentaire et de nous éloigner de la tyrannie du pétrole( micro barrages pour la production d’électricité, maitrise de l’eau et lutte contre la salinisation des sols) .

Cependant, force est de constater avec l’imprévoyance des tenants du défunt régime pendant tout le temps durant lequel on sentait venir( depuis l’époque de la bonne tenue des fondamentaux suivie de l’annulation de la dette publique )que le Sénégal courrait de graves dangers et ne pourra difficilement sortir indemne de l’impact de deux chocs simultanés alimentaire et énergétique dont les signes annonciateurs étaient perceptibles depuis bien longtemps déjà.

Malheureusement, le président Abdoulaye Wade et son régime avait préféré donner la priorité aux problématiques de courte période et de visibilité immédiate en s’occupant plus, d’infrastructures de prestige et d’ouvrages d’art(Aéroport de Ndiass, monument de la renaissance, ANOCI , FESMAN, grand théâtre, cité des affaires) alors que les ressources consacrées à ces investissements pouvaient servir à assurer notre souveraineté alimentaire et réduire considérablement notre dépendance à la tyrannie du pétrole.

Or, les problématiques essentielles du développement véritable dans nos formations sociales sous développées relèvent principalement de phénomènes économiques se rapportant à des mesures dont les effets se projettent sur un temps assez long. Si bien que dans nos pays, les problématiques relatives au développement durable sont, en effet, les problématiques les plus importantes et constituent les contraintes majeures en ce qu’elles sont à la base de la production de richesses dans les secteurs stratégiques que sont les secteurs primaires et le secteur secondaire qui occupent la plus grande partie du potentiel productif et de l’utilisation du travail.

Il faut convenir qu’entre les deux chocs alimentaire et énergétique, celui alimentaire reste le plus dévastateur et le plus pernicieux au vu des crises sociales du travail et des désorganisations dans les systèmes que cela pourrait induire pouvant provoquer des chutes de taux de croissance, des déficits récurrents, de la montée de la demande sociale et de l’affaiblissement des capacités d’intervention de la puissance publique.

La FAO vient une nouvelle fois de tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité urgente des états au Sud du Sahara de mettre l’agriculture au service du développement et d’agir vite pour augmenter les surfaces arables pour la productions de biens alimentaires et relever les faibles croissances des productions agricoles, tout le contraire de servir les intérêts des multinationales en leur octroyant des quantités industrielles de terres arables pour nourrir les machines dans les puissances industrielles au détriment de nos populations, de notre faune et de notre flore ;Il reste entendu que l’exploitation intensive des surfaces arables pour la culture du bio carburants appauvrit de façon rapide les sols.

A cet effet, l’agriculture ne doit pas être considérée comme une simple question de sécurité alimentaire, mais, comme une question fondamentale qui se trouve au cœur du développement de nos états en ce qu’elle permettra de stimuler la croissance économique globale et d’offrir à la majorité de la population, différentes voies possibles pour sortir de la pauvreté. Car la croissance économique qui profite à des minorités et à des entreprises privées étrangères qui n’ont comme viatique que la recherche effrénée du profit dans les domaines des infrastructures de prestige ,de l’immobilier ou de l’agro bisness, renforce la pauvreté et creuse les inégalités dans nos états, tout en aggravant la destruction de l’environnement.

En effet, moins d’argent public dans le monde rural équivaut à un surplus de problèmes macro économiques et sociaux, d’une dette plus accrue, d’une pauvreté plus grande. L’élasticité de la réduction de la pauvreté, au regard des composantes sectorielles de la croissance, montre l’importance crucial du secteur agricole dans ce domaine ; Une hausse de 1% de la contribution de l’agriculture au PIB, augmente le revenu des pauvres jusqu’à concurrence de 2%, tandis qu’elle est de 1,2% dans l’industrie et de 0,8% pour les services et infrastructures.

Au Burkina Faso, la seule culture du coton fait nourrir pas moins de trois millions de personnes ,compte non tenu des autres spéculations dans les domaine céréaliers, horticoles et maraichères ;il en va de même pour la Cote d’ivoire où la production d’huile de palme, du café, du cacao de la banane et de l’igname occupe plus de la moitié de la population ; A ce titre,il y a lieu de relever au Sénégal la disproportion entre le secteur stratégique rural qui polarise plus de 60% de la population et la part très faible de ressources consacrées à ce secteur au même moment où le marché mondial des biens alimentaires subit une triple tension sous l’effet des mauvaises récoltes dues au changement climatique, de l’augmentation de la demande mondiale de biens alimentaires avec la croissance démographique et du rétrécissement des surfaces arables du fait du recours aux agro carburants.

Le Président Mamadou Dia avait eu raison en ayant très tôt la bonne inspiration de fonder sa pensée économique pour le développement intégral du Sénégal sur la promotion de l’économie rurale. Aujourd’hui, plus qu’hier, la primauté du développement de l’économie rurale et de l’agriculture est plus que nécessaire afin de contrecarrer, sinon d’amoindrir les chocs externes. C’est dire que les orientations économiques et les plans de développement économique et social selon la vision du Président Dia étaient prophétiques, eu égard à la grande menace actuelle que nous vivons sur fond d’une double dépendance alimentaire et énergétique.

Il reste évident que si l’offre mondiale de biens alimentaires diminue au fur et à mesure que la demande de consommation augmente, les prix des denrées comme le blé, le maïs, le riz le mil et les biens dérivés comme le lait, la viande vont subir des explosions dans le marché mondial, ce qui, actuellement est le cas. Nous nous souvenons des émeutes de la fin des années 2007et 2008 au Sénégal et dans certains pays d’Afrique et, si des mesures d’urgence de sauvegarde ne sont pas immédiatement prises pour améliorer les productions et constituer des stocks stratégiques de sécurité alimentaire, les mêmes causes vont produire les mêmes effets.

Heureusement que la providence nous a gratifié cette année d’une bonne pluviométrie, mais attention, cette clémence de la providence n’est que l’arbre qui cache la forêt ,si l’on se réfère à la sécheresse de l’année dernière et ses conséquences négatives sur la croissance économique en 2011 et en 2012. Le Sénégal gagnerait à s’orienter vite vers une plus grande maitrise de l’eau, une vraie bataille d’envergure pour vaincre la salinisation et l’appauvrissement des sols et l’augmentation assez substantielle des surfaces arables ,en plus de la modernisation de l’agriculture ,du relèvement de la productivité du travail, de la création de chaines de valeurs et de la réduction du cout du loyer de l’argent afin de réaliser la souveraineté alimentaire du pays et, pourquoi pas, devenir un exportateur net de biens alimentaires au même titre que la Cote d’ivoire ou le Burkina Faso.

Les mesures tarifaires par l’instrumentation des droits de porte et de la fiscalité intérieure seront des mesures qui n’auront aucun impact sérieux sur la pression des prix internationaux dont les niveaux sont déterminés à partir du jeu entre l’offre et la demande mondiales de biens alimentaires, les seules variables principales de la modification des prix relatifs.

Quelque soient les offres alléchantes des multinationales, nous ne devrions pas accepter que nos terres soient utilisées pour la culture intensive des agro carburants afin de nourrir des machines des puissances militaro- industriels dans une situation de précarité alimentaire de nos populations.

La lutte contre la faim et la sous alimentation dans un contexte mondial défavorable qui ira en s’aggravant sous l’effet du changement climatique et de la croissance démographique mondiale, nous impose la constitution d’une coalition nationale pour la révolution agricole dans notre pays afin de préserver les intérêts des générations futures.

Par Kadialy GASSAMA

Source : SudQuotidien

Crédits: AK-Project