Logo Hub Rural
Accueil > Actualités

Par prudence, le GIEC aurait sous-estimé les effets du réchauffement

Le Monde / Stéphane Foucart / 28.09.2013

Le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est-il "catastrophiste" ? Cherche-t-il à sensibiliser les opinions quitte à exagérer la menace du réchauffement ? Pour le savoir, une équipe d’historiens des sciences, de sociologues et de climatologues ont passé en revue les quatre premiers rapports de l’organisme intergouvernemental et les ont confrontés à l’évolution de la science ou, simplement, aux variations climatiques effectivement mesurées plus tard.

Leurs résultats, publiés récemment dans la revue Global Environmental Change, battent en brèche les reproches d’exagération souvent formulés à l’encontre du groupe d’experts. Au contraire, ce dernier a systématiquement "sous-estimé" les effets du réchauffement, explique l’historienne des sciences Naomi Oreskes (Harvard University), co-auteur de ces travaux.

Les premières prévisions du GIEC anticipaient ainsi, à moyen terme, une augmentation moyenne du niveau des mers d’environ 2 mm par an. Cette élévation se fait aujourd’hui au rythme d’environ 3,2 mm par an, "plus de 50 % au-dessus des prévisions du GIEC", notent les auteurs. De même, le quatrième rapport, rendu en 2007, avait présenté des estimations d’élévation du niveau marin à l’horizon 2100 qui ont dû être revues à la hausse dans le cinquième et dernier rapport. Une part de la communauté scientifique les juge encore trop faibles.

De la même manière, l’accélération de la fonte estivale de la banquise arctique, depuis le milieu des années 2000, "n’a pas été prévue par les modèles numériques" utilisés dans le cadre du GIEC.

D’autres facteurs ont été sous-estimés. "L’ensemble du carbone contenu dans le pergélisol a été estimé à 1 672 milliards de tonnes (Gt), soit plus du double du carbone présent dans l’atmosphère, rappellent ainsi les auteurs. Cela signifie que le potentiel amplificateur d’un relargage dans l’atmosphère de ce carbone par la fonte du pergélisol est énorme. Pourtant, cet effet potentiel n’a été pris en compte dans aucune des projections du GIEC." Une omission qui introduit un "biais profond tendant à sous-estimer l’ampleur du réchauffement".

Sur d’autres sujets comme le lien entre des événements météorologiques extrêmes et le réchauffement ou le stockage de chaleur dans l’océan, la même "prudence" du GIEC est observée. Ce "conservatisme scientifique" ne se manifeste pas seulement dans les prévisions des effets du réchauffement. Il se retrouve également dans la manière dont les experts du climat anticipent le rythme à venir des émissions humaines de gaz à effet de serre. En 1999, le GIEC avait ainsi élaboré différents scénarios de développement économique – des plus sobres aux plus émetteurs. En définitive, c’est le pire de tous ces scénarios qui s’est réalisé dans la décennie qui a suivi. Les experts n’étaient pas parvenus à imaginer pire situation que la réalité.

Pour quelles raisons le GIEC tend-il souvent à minimiser la menace ? L’implication des gouvernements dans le processus du GIEC y contribue sans doute, dit en substance Naomi Oreskes. Cependant, d’autres éléments suggèrent que les communautés scientifiques sont, en elles-mêmes, très conservatrices. Dans leur étude, les auteurs évoquent même un "principe de moindre étonnement", selon lequel une hypothèse ou un résultat a plus de chances d’être accepté s’il ne heurte pas par ses aspects spectaculaires ou dramatiques.

L’un des auteurs du deuxième rapport, qui a été rendu en 1995, raconte volontiers qu’une discussion très "politique" opposa les scientifiques sur le choix des mots à utiliser pour décrire l’empreinte du réchauffement anthropique, qui venait alors d’être détectée : était-elle "appréciable" ou "discernable" ? "C’est le mot discernable, qui fut retenu, raconte Naomi Oreskes. Le terme n’est pas faux, mais c’est clairement le plus faible des deux."

Source : Le Monde

Crédits: AK-Project