Logo Hub Rural
Accueil > Actualités

Cote d'Ivoire: Débat sur la production du riz/ Tiacoh Thomas, président de l'Anariz-ci - " On ne peut pas produire 1,562 million de tonnes de riz avec la daba et la machette "

Le dernier conseil des ministres a donné des statistiques sur la production nationale du riz local. Le président de l’Association nationale des riziculteurs de Côte d’Ivoire, Tiacoh Thomas, émet des doutes sur ces données.

N.V. : On ne comprend pas que la Côte d’Ivoire qui est un pays à vocation agricole ne soit pas autosuffisante en riz.

K.T.T. : C’est la recherche de l’argent et la sécurité financière qui amènent les gens à abandonner les cultures vivrières. Ils ont la culture du maintien du niveau de vie. Ils cultivent le café et le cacao parce les productions vivrières ne leur apportent pas de l’argent. C’est cette même raison qui les amène vers l’hévéaculture. Mais le revenu stable peut être obtenu à partir des productions vivrières, comme le riz. Les pays de l’Afrique de l’Ouest importent chaque année 6 milliards de dollars de riz. Tout cet argent va dans les mains des paysans thaïs et chinois alors que la Côte d’Ivoire a les potentialités de produire suffisamment de riz pour capter ce marché. Le pays a importé, en 2011, 935.000 tonnes de riz pour 287 milliards FCFA, soit une facture journalière de riz de 700 millions FCFA. Il y a un marché interne pour le riz. Demain, le riz va prendre de l’essor j’en suis convaincu.

N.V. : Vous disiez tantôt que le riz peut constituer, à l’instar des cultures de rente, une source de revenu stable. On a l’impression que nos paysans n’en sont pas suffisamment informés car aujourd’hui ils ont tendance à délaisser les bas-fonds pour se tourner vers l’hévéaculture.

K.T.T. : Ils ont tort. Et je voudrais leur dire qu’il faut qu’ils s’attachent à leurs bas-fonds parce que les nouvelles à venir sont bonnes pour la production locale. Si la taxe à 35% est appliquée, le coût du riz local va être rehaussé. Actuellement, la taxe d’entrée en Côte d’Ivoire est de 10%, mais on constate que malgré cette faveur, le prix du riz est en hausse et aucun gouvernement de la Cedeao n’arrive pas à le maitriser. La production de riz est une activité de 4 à 6 mois. Alors que pour l’hévéa, il faut attendre au moins 7 ans. Le riz pluvial avec les variétés donnent 2 tonnes et le riz irrigué 3 à 5 tonnes. Et on peut répéter sur le même site. On a même un potentiel de 10 tonnes avec le riz irrigué à haut rendement. Avant la crise, je réalisais ces rendements. Et j’avais la capacité de le faire deux fois dans l’année. Si le kilogramme du riz paddy est vendu à 200 F, cela donne au moins 3 millions FCFA de recette sur une parcelle d’un hectare. Il n’y a rien à envier à un producteur d’hévéa. Dans le riz, il suffit d’avoir 10 hectares pour obtenir au moins 100 tonnes. Donc le professionnel du riz gagne de l’argent comme le producteur d’hévéa. Je le répète, il y a un marché interne.

N.V. : Lors du conseil des ministres tenu à Korhogo, le gouvernement a indiqué avoir produit 1.562.000 tonnes de riz paddy en 2012, ce qui équivaut à 984.000 tonnes de riz blanc pour un rendement à l’usinage de 63%. Avec cette performance en une seule année, l’Etat n’est-il pas sur la bonne voie pour l’autosuffisance alimentaire ?

K.T.T. : L’autosuffisance alimentaire est possible en Côte d’ivoire. Nous avons des terres et le savoir-faire. Nous avons donc les potentialités pour y parvenir et même envisager l’exportation. Le gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour y arriver avec un objectif de 1.900.000 tonnes à l’horizon 2020. Mais quand le gouvernement déclare avoir produit 1,562 million de tonnes de riz paddy, je me demande comment cela s’est fait puisque je suis agriculteur. Quand je regarde le prix d’chat prévu par la SNDR pour améliorer les conditions des riziculteurs, 1,562 million de tonnes de riz paddy achetés à 150 F au producteur, c’est 234,3 milliards FCFA qu’on aurait mis entre les mains des producteurs. Et le producteur que je suis n’a pas eu vent de ça.

Ensuite, 984.000 tonnes de riz blanc devaient être vendus à 350 F le kilogramme comme le prévoit également la SNDR. Sur quel label ce riz a-t-il été vendu dans notre pays ? C’est la question que je me pose. Parce que le riz ivoirien n’a pas fait l’objet de publicité. Quand on produit une telle quantité de riz, on doit pouvoir en faire la publicité pour dire aux Ivoiriens que le riz est à leur disposition. Je n’ai pas vu une telle action en Côte d’Ivoire. J’ai posé la question à tous les présidents des coopératives partout en Côte d’ Ivoire, personne n’a vu ce dont parle le gouvernement. Quelles sont les actions qui ont été menées pour qu’on ait produit 1,562 million de tonnes de riz paddy en 2012 et vendus sur le marché local ? Pour produire une telle quantité de riz, il faut des actions. Si c’est en pluvial que ce riz a été produit, il aurait fallu emblaver 781.000 hectares. Qu’est-ce qui a été mis à la disposition des producteurs pour produire cette quantité de riz et dans quelle région du pays elle a été produite ?

Si c’est en irrigué, il aurait fallu emblaver 312.400 hectares. On le fait avec des motoculteurs, des tracteurs ? Quels sont les outils qui ont été mis à la disposition des producteurs pour travailler sur 312.400 hectares en 2012 pour atteindre les 1,562 million de tonnes de riz paddy ? On dit qu’on a transformé cette production à 63%, ça s’est fait dans quelle usine ? De mémoire de producteur de riz, la seule usine qui est restée en activité de l’héritage Soderiz, c’est celle de Bongouanou. Est-ce cette usine de Bongouanou qui a usiné les 1,562 million de tonnes de riz ? On est sur la bonne voie et on peut y arriver. Mais je ne pense pas que cette production de 2012 ait été réalisée.

N.V. : Donc vous ne croyez pas en ce que l’Etat a dit.

K.T.T. : Je n’ai pas vu.

N.V. : Comment le gouvernement peut-il déclarer une quantité de riz qu’il n’a pas produite ?

K.T.T. : Je ne comprends pas. L’Etat, c’est quand même quelque chose de sérieux. Nous avons la capacité de travailler. Maintenant, il faut le matériel. On ne peut pas produire 1,562 million de tonnes de riz avec la daba et la machette. C’est difficile et je n’arrive même pas à comprendre. On dit que c’est sur communication du ministre de l’Agriculture. Mais le ministre de l’Agriculture a quand même dans ses services des statistiques. Si c’est quelqu’un qui lui a donné ces chiffres, il aurait pu les vérifier. Moi je n’ai pas vu toutes ces actions et je ne les ai pas senties. J’observe cependant que cette production ressemble étrangement au volume du riz importé. Alors la question est de savoir si c’est une production par bateau.

N.V. : Aujourd’hui, qu’est-ce que vous pouvez dire aux gouvernants pour aiguiser la conscience des populations par rapport à l’autosuffisance alimentaire ?

K.T.T. : Je voudrais dire au gouvernement de ne plus infantiliser certains secteurs de production agricole. Et qu’il ne politise surtout pas les secteurs de production agricole. Nous avons besoin de tout le monde. Nous ne pouvons pas être tous d’accord sur les choix politiques. Mais nous sommes d’accord que nous sommes tous des Ivoiriens et qu’entre nous, nous devons avoir des cadres de concertation pour réfléchir sur notre agriculture.

Par Boga Sivori, 11 Juillet 2013

Source : Notre Voie

Crédits: AK-Project