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Sécuriser la production nationale : Les leçons de Marius Dia (coordonnateur du CNCR)

Le coordonnateur de la cellule d’appui technique du Conseil national de coordination et de coopération des ruraux (Cncr) estime que si les campagnes agricoles créent plus de problèmes qu’elles n’offrent de solutions, c’est que, aussi bien l’Etat que les industriels, n’aident pas les paysans sénégalais à devenir plus professionnels et à se garantir des revenus sûrs. Pour lui, il suffirait d’un peu de volonté pour produire des résultats dont tout le pays pourrait profiter. Le Quotidien a recueilli ses propos, et le laisse s’exprimer, selon ses propres termes.

« Il est si facile d’aider les paysans sénégalais à sortir de la pauvreté, et d’avoir des revenus plus ou moins stables. Malheureusement, dans ce pays, depuis quelque temps, les dirigeants semblent se complaire à fabriquer des riches, sur le dos des producteurs. Pourtant, il suffit de vouloir pour faire bouger les choses. Prenons un exemple concret avec l’arachide. La Suneor aujourd’hui doit être en mesure de déterminer la quantité de graines qu’elle va acheter en octobre 2015, parce qu’elle a un plan d’affaires. Supposons qu’elle déclare qu’elle a besoin de cinquante mille tonnes. Une organisation ou une coopérative qui produit de l’arachide peut s’engager à lui en fournir dix mille, et une autre vingt, par exemple. Il appartiendra à ces différentes structures paysannes d’indiquer la zone où elles comptent produire les quantités sur lesquelles elles s’engagent.

L’Etat facilitateur « Le rôle de l’Etat sera alors d’aider à la contractualisation entre la Suneor et ces groupes de producteurs. Cela permettra alors à ces organisations de producteurs de s’adresser à la banque comme la Caisse nationale du crédit agricole (Cnca) pour prendre un crédit à court terme. La Cnca leur fournit le crédit à un taux de 12%. Le rôle de l’Etat va consister alors de manière concrète, à soutenir les producteurs pour qu’ils puissent payer 7%. Au lieu de donner la subvention à quelques individus, l’Etat la verse à la Cnca. Ainsi, le producteur paie 7% et l’Etat paie les 5%. La coopérative qui est ainsi assistée, devra alors mettre en place un dispositif d’approvisionnement collectif, qui doit permettre de concilier les besoins de ses membres et de trouver les semences et les engrais nécessaires à une bonne production. Ainsi, plusieurs coopératives, donc plusieurs organisations paysannes d’un même réseau, vont se retrouver pour faire une commande collective pour l’ensemble du réseau. Cela influerait sur le coût de l’engrais et des semences et ferait baisser très fortement les prix, y compris ceux du transport. « Nous pouvons donner en exemple une structure telle que l’Asprodeb, qui met en réseau tous les membres du Cncr. Elle consolide la production d’arachide de l’ensemble des membres du Cncr et même d’autres producteurs qui ne font pas partie du Cncr, en passant une commande collective. Cette manière de faire pourrait réduire significativement le prix de l’engrais. Ainsi, le producteur part d’un prix de base et il accède au crédit. « Mais il reste un troisième pilier : l’assurance du crédit que le producteur a pris. S’il ne pleut pas assez, s’il pleut beaucoup, s’il y a inondation, s’il y a des attaques d’insectes sur des cultures ou s’il n’atteint pas son rendement moyen etc., l’assurance doit là jouer son rôle, en payant, pour compenser le déficit induit. En d’autres termes, même s’il n’y a pas de récolte, le producteur sera en mesure de rembourser son crédit et permettra ainsi à la banque de lui prêter encore de l’argent, pour un nouveau cycle de production. « Quand arrive le moment des récoltes en octobre, il faut s’enquérir du prix réel de l’arachide sur le marché mondial. S’il était par exemple, à 150 francs Cfa et qu’il est passé, pour la campagne concernée, à 140 francs, il ne sera pas demandé à la Sunéor d’acheter à 150 Frs mais seulement à 140 Frs. C’est l’Etat qui va alors veiller à maintenir le revenu des producteurs, en subventionnant le gap des 10 francs. Pourquoi l’Etat doit-il le faire ? Parce que s’il y a des revenus conséquents dans le monde rural, cela a un impact sur toute l’économie nationale. Le ciment, les vêtements, les zincs, etc. se vendront très bien. La consommation nationale en sera boostée, car 60% de la population du pays vivent en milieu rural et sont également des consommateurs. L’Etat a donc intérêt à ce que les paysans aient un revenu consistant. « Mais un autre scénario peut se présenter : au lieu de coûter 150F, le kilo d’arachide pourrait être fixé à 170 francs. Dans ce cas, le producteur doit être en mesure d’accepter de se faire payer 160 francs, et de laisser que les 10frs de surplus soient versés dans une caisse gérée conjointement par l’Etat, les producteurs et même les huiliers, pour que l’année suivante, quand les prix seront encore à la baisse, on n’ait pas à demander à l’Etat de subventionner les prix pour préserver les revenus de ces producteurs. Dans tous les pays qui veulent améliorer leur production et les revenus de leurs agriculteurs ou sortir leur monde rural de la pauvreté, on agit ainsi. Pourquoi on ne le fait pas au Sénégal ?

Sécuriser la récolte « Et lors de la récolte, il faudrait mettre en place un dispositif qui empêche que n’importe qui s’érige en acheteur. Le producteur livre sa récolte à son organisation qui avait contracté le crédit avec la banque et la Suneor paie la coopérative. Celle-ci récupère son argent et distribue le reste aux producteurs. On peut même pousser le producteur à ouvrir un compte à la Cnca. Il faut faire en sorte que chaque organisation ait son propre système d’épargne et de crédit. C’est à partir d’un tel système affilié à la Cnca qu’on accordera du crédit. Il faut y réfléchir si on veut aider le monde rural, si on veut vraiment « accélérer la cadence ». C’est seulement dans ces conditions là que le producteur peut s’équiper en matériel agricole. On ne lui donnera plus le matériel au comptant parce qu’il ne pourra pas le payer. Exemple : on donne à un producteur un semoir dont la durée de vie est comprise entre 5 et 8 ans et qui lui aurait coûté 25 000F au comptant. Le producteur peut payer en 5 ans à raison de 5000F. Les producteurs pourront ainsi s’équiper en matériel agricole.

La campagne agricole « Un autre élément important, c’est la préparation des campagnes agricoles. On n’attend pas le mois d’avril ou le mois de mai pour mettre en place les intrants. Au 1er avril, surtout dans les zones sud, tout le matériel, tous les intrants doivent être déjà en place. Le paysan doit avoir déjà disposé de ses semences, les avoir décortiquées et préparées, en attente de la pluie. Cela veut dire qu’en fin mars, tout devrait déjà être en place. Personnellement, j’ai vu à la date du 28 juin dernier, des camions au niveau des secco, en train de charger les semences pour les acheminer dans les points de distribution. Est-ce cela mettre les choses en place à temps ? Il s’agit au contraire d’une mauvaise préparation, d’une mauvaise planification de la campagne agricole… »

mgueye@lequotidien.sn

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Crédits: AK-Project