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La migration climatique, source de dangers et d’opportunités

LONDRES, 23 janvier 2014 (IRIN) - Pour les îles du Pacifique comme Palaos, Tuvalu ou Kiribati, les implications du changement climatique sont claires – et désastreuses. Les gouvernements de ces États insulaires ont d’ores et déjà commencé à planifier la relocalisation de populations entières pour faire face à la montée des eaux et à la disparition subséquente de leur territoire. Mais le changement climatique menace également les modes de vie de manière plus subtile et contraint des familles du monde entier à rechercher par elles-mêmes le moyen de s’en sortir.

Octavio Rodriguez, originaire de Sucre, en Colombie, a dit : « Les pluies ont été intenses – très intenses. Autrefois, la saison des pluies durait deux mois, novembre et décembre, et le niveau des eaux atteignait de 20 à 30 cm. Désormais, ces six ou sept derniers mois, il a atteint plus de 2 m. C’est du jamais vu. Nous ne voulons pas quitter nos terres : notre passé, nos souvenirs, nos ancêtres sont ici. Nous ne voulons pas aller ailleurs ; nous ne saurions pas quoi faire là-bas. Nous glisserions dans la délinquance. Nous tomberions dans un cycle de pauvreté comme ça arrive en ville. »

M. Rodriguez est l’une des nombreuses voix enregistrées dans Moving Stories, une nouvelle compilation d’entretiens réalisée par le Climate Outreach and Information Network (Impact climatique et réseau d’information) auprès des habitants des zones affectées par le changement climatique. Pour beaucoup, le problème est de réussir à modifier leur mode de vie sans abandonner tout ce qui est familier.

Toujours plus loin de chez soi

Les éleveurs nomades ont la possibilité de changer de pâturage ou de s’aventurer plus loin de leur base principale pour des périodes qui s’allongent d’année en année. Mais ces stratégies ont leurs limites, s’inquiète le Tchadien Hindu Oumarou Ibrahim. « Pour survivre, nous et nos animaux, nous sommes contraints de migrer continuellement en dépit de tous les risques que cela implique », a-t-il dit. « C’est notre façon de nous adapter. Nous l’avons toujours fait, mais si rien n’est entrepris pour garantir la sécurité de notre environnement et de nos activités, nous risquons de devoir renoncer un jour à notre mode de vie. »

Miguel, un fermier d’Hueyotlipan, au Mexique, travaille à l’extérieur pour compenser les mauvaises récoltes. « Les pluies arrivent plus tard qu’avant et nous produisons moins », a-t-il dit. « La seule solution, c’est de partir, au moins pour un temps. Chaque année, je travaille entre trois et cinq mois dans le Wyoming [aux États-Unis]. C’est ma principale source de revenus. Mais quitter définitivement mon village ? Il n’en est pas question. J’ai été élevé ici et j’y resterai. »

Des travaux du Centre de recherche sur la migration de l’université du Sussex (Centre for Migration Research), réalisés en collaboration avec l’Unité de recherches sur les réfugiés et les mouvements migratoires (Refugee and Migratory Movements Research Unit) de Dacca, au Bangladesh, révèlent que ce type de réponse est très répandu. Certaines personnes se déplacent pour trouver un emploi saisonnier ou déménagent en ville pendant quelques mois ou plus pour gagner de l’argent. La migration climatique est donc généralement un phénomène temporaire et essentiellement local. Il s’agit davantage d’une amplification des schémas existants que de mouvements transfrontaliers définitifs.

Crise ou opportunité ?

L’argent que gagnent les migrants leur permet souvent de faire vivre leur famille une fois de retour chez eux. Il leur permet parfois même de réaliser des investissements – des protections contre les inondations, des systèmes d’irrigation ou de nouveaux moyens de subsistance – qui atténuent les effets du changement climatique.

Dominic Kniveton, l’un des membres de l’équipe de recherche de l’université du Sussex, croit que ce type de migration peut être positif : « On partait de l’idée que les personnes touchées étaient vulnérables, qu’elles étaient des victimes ; que les migrants étaient des personnes meurtries. On voyait ça comme quelque chose de négatif. Avec le temps, on a vu qu’il s’agissait davantage d’un mécanisme d’adaptation. Et pour finir, l’idée de résilience s’est imposée et les migrants et leur salaire ont été envisagés comme des facteurs de résilience pour la communauté. »

Mais M. Kniveton s’inquiète du fait que les gouvernements ont encore tendance à considérer les mouvements migratoires vers les zones urbaines comme quelque chose d’exclusivement négatif et qu’ils se croient souvent obligés de contrer ces mouvements. Si, au lieu de cela, les gouvernements reconnaissaient l’utilité d’un tel comportement, ils pourraient faire bien plus pour aider les migrants, notamment en améliorant les conditions de travail dans les secteurs qui les embauchent ou en offrant des formations adaptées permettant l’acquisition des compétences requises dans les villes.

Selon M. Kniveton, la migration est une tendance ancrée dans l’histoire du Bangladesh, où l’équipe a travaillé. « Indépendamment du changement et de la variabilité climatiques, les gens considèrent [le fait de migrer] comme quelque chose de normal. D’un côté, nous disons que nous ne voulons pas que les gens soient déplacés, mais, [d’un autre côté,] nous disons aussi que la migration peut aider les populations à affronter des problèmes futurs dans certains contextes. Ce qu’on veut, c’est pousser les gens dans une situation dont ils pourront tirer parti tout en les préservant d’une situation de déplacement. »

Les dangers du déplacement

M. Kniveton s’est exprimé la semaine dernière à l’occasion d’une réunion organisée à Londres et à laquelle assistait le haut-commissaire pour le Bangladesh au Royaume-Uni, Mohamed Mijarul Quayes. Fort d’une expérience considérable en matière de négociations climatiques et environnementales sur le plan international, M. Quayes est l’un des plus éminents diplomates de son pays. Il craint qu’en soulignant l’utilité du comportement adaptatif, on éclipse le fait qu’il n’existe pas d’adaptation possible pour certaines personnes : leur maison finira tout simplement par disparaître. Cela s’applique notamment aux Bangladais qui vivent dans des zones côtières de faible altitude ou sur des terres soumises à l’érosion lorsque les rivières changent de cours.

« Personne ne choisit la migration », a-t-il dit. « Un déplacement, c’est un déplacement avec tout ce que cela implique : les migrants n’ont nulle part où rester et l’accès aux opportunités a disparu, emporté par les flots. Et dans les zones contiguës tout aussi densément peuplées, les gens se disputeront les opportunités. Ce mouvement risque de repousser [les populations] encore plus loin, entraînant nécessairement un mouvement transfrontalier rattaché à la contrebande et au trafic d’armes et de drogue – et tout le reste. »

Pour M. Quayes, les personnes contraintes à se déplacer en raison des conséquences du changement climatique sont des déplacés, ni plus ni moins. Il s’étonne qu’en dépit de leur statut de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), les conventions internationales ne leur offrent aucune protection si elles traversent les frontières internationales, alors qu’elles le font généralement pour celles qui se déplacent pour échapper aux persécutions politiques ou aux violences.

M. Quayes conçoit que le climat politique n’est pas favorable à la création d’un nouvel instrument international et contraignant qui serait susceptible d’encourager la migration en offrant des protections. Il estime toutefois que d’autres arguments peuvent être avancés pour aider ces migrants.

« Notre volonté détermine notre efficacité. Il est dès lors absolument essentiel de créer un sentiment d’appartenance chez les contribuables. Ils doivent reconnaître l’importance de cette question, pas uniquement par altruisme, mais parce qu’elle nous affecte tous », a-t-il dit à IRIN. « Si cela ne se produit pas, nous devrons revenir à ce que j’appelle l’agenda de ‘sécurisation’. »

Favoriser la clandestinité des migrations alimente le trafic de migrants et les autres activités illicites. « Si vous ajoutez une dimension sécuritaire [à cette question], vous verrez l’argent affluer, parce que les gros poissons ont tendance à considérer que les menaces sécuritaires sont plus importantes que les problèmes humanitaires », a dit M. Quayes.

Pendant ce temps à Qumira Char, au Bangladesh, Mohamed Rashed et ses voisins sont trop angoissés pour trouver le sommeil. « Nous avons perdu des mosquées, une école, des magasins, des fermes », a-t-il dit. « Nous avons maintenant peur de la mer. Petit à petit, elle s’approche de nos maisons. Lorsque nous dormons, nous avons peur. Chaque année, la marée monte et s’approche un peu plus. Le village n’existera peut-être plus l’année prochaine. »

Source : IRIN

Crédits: AK-Project