Logo Hub Rural
Promoting coherence in agricultural policies
Home > Promoting coherence in agricultural policies > News

Interview du Dr. Cheikh Tidiane Dieye, directeur Exécutif de « Enda CACID» suite à l'atelier régionale préparatoire de la Conférence Ecowap 10 : « l’Afrique n’est pas pauvre ! »

Les rideaux viennent de tomber sur la rencontre internationale des acteurs de l’ECOWAP tenue dans la capitale togolaise. Qu’est-ce-que l’ECOWAP et quel est l’intérêt de la rencontre de Lomé ? Pour en savoir plus, le Groupe de Presse La Symphonie s’est entretenu avec Cheikh Tidiane Dieye, directeur Exécutif de « Enda CACID».

M. Cheikh croit en une Afrique développée grâce à ses propres ressources notamment celles agricoles ; il prône pour la cause des politiques efficaces pour booster l’agro-industrie basée sur la modernisation de l’agriculture et la transformation des produits locaux. « L’Afrique n’est pas pauvre ! », lance-t-il. Voici l’intégralité des échanges.

Afrikdepeche.com : Bonjour Docteur Cheikh ! A quoi répond la rencontre des techniciens et spécialistes des questions agricoles ces 5 jours à Lomé ?

Dr Cheikh : Oui, il s’agit d’une rencontre préparatoire de la conférence de Dakar qui se tiendra en Novembre prochain pour revisiter la politique agricole commune majeure pour l’Afrique de l’ouest en ce sens qu’elle va augmenter sa production agricole dans un but évident de résoudre le problème de la sécurité alimentaire, mais aussi de fournir à l’industrie ouest africaine les intrants nécessaires pour qu’elle se développe, notamment dans le domaine de la transformation des produits locaux afin que notre région puisse s’insérer dans les chaînes de valeurs au niveau régional, mais aussi au niveau global.

Donc, cette réunion-ci est un atelier technique qui a permis de réunir l’ensemble des composantes de la région : les producteurs agricoles, le secteur privé, les organisations de la Société civile, les organisations travaillant sur la question du genre, le monde de la recherche et les Etats membres, pour que chacune de ces catégories d’acteurs puissent mener ses propres évaluations, répondre à une série de questions sur les activités qu’elle a eu à mener dans la mise en œuvre de cette politique régionale pendant dix ans. Les résultats que chacune des catégories a essayé d’obtenir et la manière dont ces résultats ont été obtenus ou non et d’évaluer tous ces processus.

Quels sont les débats qui ont essentiellement meublé les différents ateliers ?

Les débats sont de plusieurs ordres. Le premier, c’est d’entreprendre le diagnostic du secteur agricole de l’Afrique de l’ouest, de ses forces et de ses faiblesses, ensuite de regarder son potentiel et de répondre à la question de savoir pourquoi ce potentiel important n’a pas été valorisé ? Pourquoi on n’a pas réussi à le traduire en acte ? Cela nous a permis de questionner tous les défis qui sont en face de nous, les obstacles à la production agricole, mais aussi les obstacles au développement des marchés parce que pour soutenir la production, il faut aussi que les produits agricoles puissent circuler librement dans l’espace CEDEAO.

Ce qui est un véritable défi aujourd’hui, c’est la faiblesse des infrastructures routières des transports et autres, qui devraient permettre d’accéder facilement aux marchés, ce qui n’est pas le cas dans notre sous région. Entre autres défis, il y a également les défis liés aux tracasseries administratives qui découlent du fait que les protocoles, les règles et les décisions prises par les Etats pour garantir la circulation des marchandises et des personnes ne sont pas appliquées, et sont constamment violées par les agents chargés du contrôle et de la sécurité au niveau des frontières ; les défis, c’est aussi l’incohérence de beaucoup de politiques régionales entre l’UEMOA et la CEDEAO, entre la CEDEAO et le SCILL, il y a une panoplie de politiques que l’on prend et qu’on met en œuvre et qui quelques fois ne se complètent pas et qui sont plutôt en contradiction.

On peut citer aussi la fragmentation monétaire de notre région, et la différence entre le taux de change qui ne facilite pas le commerce au niveau régional, le fait que les pays ne partagent pas les mêmes systèmes de taxation, les mêmes systèmes fiscaux sont aussi quelques uns des défis que nous rencontrons dans la sous région et qui méritent qu’on s’y penche un tout petit peu, il y a enfin le défi de l’incohérence des politiques comme je l’ai dit tout à l’heure, vue sous l’angle de l’intervention de différents partenaires techniques et financiers, notamment les bailleurs de fonds, qui rentrent par diverses voies dans la région, qui s’adressent à des institutions différentes, qui donnent de l’argent selon les conditions qui leur sont propres et qui se marchent quelques fois sur les pieds, ce qui ne nous permet pas nous, de suivre une approche et une stratégie claires et cohérentes entre nous.

ll faut donc essayer de revoir ces différentes interventions, il ne faut pas qu’on accepte que parce que les bailleurs viennent avec de l’argent, qu’on les laisse aller dans tous les sens, il faut qu’on ait une politique et que tout ceux qui doivent nous appuyer aillent dans le sens que nous nous indiquons et s’alignent sur nos priorités plutôt que chacun vienne faire des choses et son contraire. Ce sont des choses sur lesquelles nous avons discuté, nous avons également discuté en fonction des différents groupes thématiques qui se sont regroupés ici, les questions foncières en Afrique de l’ouest sont très importantes, l’accès à la terre, parce que la terre est l’un des facteurs de la promotion agricole, en plus de la terre, il y a aussi toutes les politiques régionales qui accompagnent la politique agricole notamment la politique commerciale avec la mise en œuvre depuis janvier 2015 du Tarif Extérieur commun (TEC) de l’Afrique de l’Ouest qui doit normalement soutenir les filières agricoles et protéger les filières sensibles de la région.

Il y a la politique industrielle dont les secteurs prioritaires doivent refléter les priorités de notre agriculture, il y a enfin une série de mesures régionales qui visent à coordonner et harmoniser les politiques. La manière de saisir les opportunités non seulement du marché régional qui grandit, mais également les opportunités que nous offrent les marchés internationaux avec nos partenaires du nord comme du sud, est également une des problématiques que nous avons mis sur la table parce que nous devons avoir l’ambition de construire une agriculture assez forte et dynamique pour pouvoir résoudre notre propre besoin de sécurité alimentaire afin que nous aussi on puisse exporter sur les marchés internationaux pour gagner de l’argent et investir dans les secteurs sociaux : écoles, hôpitaux dispensaires etc. La rencontre de Lomé nous a donné les outils nécessaires, les instruments d’analyse, les grilles de lecture pour marcher vers la prochaine conférence régionale sur la politique agricole qui doit se tenir à Dakar qui doit consacrer l’évaluation des 10 ans que nous venons de boucler.

Quelles sont les difficultés auxquelles sont confrontées spécifiquement les organisations de producteurs ?

Les difficultés de l’agriculture ouest africaine sont de plusieurs ordres. Et les propos des producteurs l’ont souvent reflété, ils comprennent très bien les problèmes auxquels ils font face. Et parmi les seuls sujets qu’ils invoquent inlassablement, c’est la prise en compte de la nature assez particulière de l’agriculture en Afrique de l’Ouest parce que c’est une agriculture quasi dominée par les exploitations familiales cela est assez spécifique et mérite une politique assez adaptée, parce qu’on ne peut pas faire une politique qui fasse la part belle aux grands investissements étrangers, aux grandes exploitations quand on sait que notre région est composée pour l’essentiel d’exploitations familiales.

Sans rejeter l’importance d’autres investissements dans d’autres domaines, y compris dans les grandes exploitations parce que dans certains cas, c’est ce qu’il faut, il faut aussi avoir une politique spécifique sur la nature de notre exploitation familiale dans le besoin, en les accompagnant dans la formation, le renforcement de leurs capacités techniques, l’accès au financement approprié, dimensionner et calibrer leur taille, l’accès également à des services non financiers pour la tenue de leur comptabilité, la légalisation, les procédures juridiques et fiscales, ce sont autant de besoins qu’il faut agresser convenablement, l’accès au foncier reste également un défi pour l’agriculture familiale en Afrique, il faut aussi ajouter que les producteurs agricoles évoquent cela inlassablement et ont émis des propositions très pertinentes là-dessus, pour que les exploitations familiales soient optimales.

Il y a également toutes les réformes à faire sur toutes les politiques commerciales qui doivent soutenir la politique agricole, là également, les producteurs agricoles ont touché du doigt un certain nombre de secteurs qui semblent avoir des difficultés, notamment le secteur du lait en Afrique de l’ouest où le Tarif Extérieur commun ne semble pas avoir un niveau de protection approprié de la production locale de lait, même si on sait que l’orientation de la CEDEAO était de protéger ou de soutenir la transformation ou l’industrie locale du lait et plus précisément la production. C’est pour cette raison que le type de lait qui est protégé avec un coût relativement élevé sur le TEC, c’est le type de lait qui est importé dans la région, alors que le lait en vrac produit de l’extérieur qui sert de matière première pour les industries est à un taux de 5% sur le TEC.

Donc, çà aussi, c’est l’’orientation des politiques économiques qu’il faut revoir. Le riz également fait l’objet d’une taxation très basse dans le TEC, les producteurs agricoles l’ont évoqué, mais là aussi effectivement, il y a des raisons dont l’une est le fait que certains pays importent sur les importateurs (…) le riz pour l’alimentation de leurs populations donc une taxe élevée aurait surenchéri le prix du riz et les Etats n’auraient pas pu supporter. Ça aurait pu créer des troubles sociaux. Raison pour laquelle le prix du riz est très bas. Donc tout cela mérite d’être débattu.

Quelles réflexions avez-vous menées sur les mécanismes de financement de l’agriculture et les éventuelles réformes ?

Oui, le financement de l’agriculture reste un grand défi. Et, il faut reconnaitre que l’Afrique de l’ouest fait partie des meilleurs élèves en Afrique sur le financement de l’agriculture. Vous vous souvenez que à Maputo les Chefs d’Etat de l’Afrique avait décidé de consacrer au moins 10% du budget de chaque pays, il y a très peu de pays qui ont réussi, sur les 8 pays les 5 ou 6 sont africain c’est une avancée assez significative qu’il faut saluer. Mais il faut en même temps qu’on s’interroge sur le ciblage et la qualité de ces investissements, on se rend compte qu’une partie de ces financements va dans les dépenses d’équipements, dans le fonctionnement des ministères, des agents chargés de l’agriculture plutôt que les agriculteurs eux-mêmes. Il y a de l’argent qui y va mais cet argent va dans le mauvais sens.

Cela reste un défi important qu’il faut corriger, l’argent qui y va n’est pas toujours l’argent de l’Etat, plutôt l’aide publique au développement qui vient de l’extérieur qui est réorienté dans d’autres secteurs, l’Etat ne fait pas encore vraiment l’effort qui est attendu de lui pour financer dans le but d’un engagement souverain un certain nombre de politiques agricoles. Quand on regarde à un niveau plus micro, sur l’accès au financement reste encore un grand défi pour les types exploitations agricoles familiales. Il faut donc accélérer le système bancaire pour avoir des crédits agricoles adaptés, produire assez et rembourser convenablement. Souvent les délais de recouvrement son souvent court ce qui ne permet pas le renouvellement des crédits et cela n’assure pas le bien être des exploitations agricoles familiales. Tous ces débats seront versés à la conférence de Dakar.

Avez-vous aussi réfléchi à la mise en place d’une politique d’industrialisation agroalimentaire pour que soient transformées sur place nos productions agricoles ?

Oui, la CEDEAO est en train de mettre en place sa politique industrielle commune applicable. Cette politique industrielle doit et devra s’appuyer principalement sur la transformation agro-alimentaire. Nous avons une région qui produit plusieurs produits différents et qui engrangent d’énormes potentiels de production qui doit justement faire de l’agriculture le premier rang de sa politique de matière première agricole de la sous région. La transformation aviaire et agro-alimentaire est l’une des priorités du document de la politique agricole, mais également dans la politique industrielle de l’Afrique de l’Ouest. C’est pourquoi tout à l’heure quand on a parlé de cohérence de politique agricole, c’est de faire en sorte que notre agriculture produise pour notre industrie.

On ne se contente plus seulement d’exporter notre matière première agricole ou certains produits de base pour qu’on produise pour la transformation et pour notre nourriture et pour que les produits soient industrialisés. Cela est devenu une priorité pour tout le monde parce que le principal facteur pour accélérer notre développement est de créer de l’emploi dans la sous région, ce qui reste un grand défi, avoir une grande industrie capable d’absorber le trop plein de chômage dans les villes les jeunes qui errent dans les rues avec tous les problèmes sociaux que cela entraine ; c’est effectivement une priorité et tout le monde y travaille. Là aussi, il y a un potentiel énorme notre région attire 300 millions d’habitants, c’est vraiment remarquable, il suffit justement de créer les conditions d’installation des usines, et des unités de transformation des produits agricoles pour qu’à la fois l’agriculture et l’industrie industries soient en pleine accélération.

Quel est le niveau de contribution de l’agriculture dans l’économie de la sous région ?

C’est assez large, de 30 à 60 % du Produit Intérieur Brut (PIB) de l’Afrique de l’Ouest vient de l’agriculture selon les pays. La moyenne est là, je crois qu’il y a des différences entre les taux. C’est aussi entre 30, 40, 50 % de la population qui entre dans l’agriculture. Ce qui fait que l’agriculture joue un rôle important dans l’activité économique, également pourvoyeur d’emplois. Le problème qu’on a aussi, c’est que l’emploi de l’agriculture est encore rural et pas très bien reconnue dans nos pays ce qui fait qu’il faudra apprendre à réformer, faire en sorte que le développement de l’agriculture par l’accès à des moyens techniques et l’équipement nécessaire : techniques et technologiques qui peuvent, peut-être, réduire la part de l’agriculture dans le travail de la région mais que sa productivité puisse augmenter, que sa contribution au PIB puisse également augmenter mais non pas sous la forme d’exploitation de matières premières mais plutôt des produits finis transformés par l’industrie locale ce qui crée de la valeur ajoutée et qui donne plus de ressources aux producteurs. Donc ça reste important sur le plan économique d’où l’importance d’avoir des politiques efficaces.

Que va-t-il se passer après cette rencontre de Lomé ?

Une fois que ces ateliers terminés, c’est-à-dire les ateliers d’évaluation sectorielle de chaque catégorie, il y aura une réunion plus large qui va réunir tout le monde et chacune des catégories va faire ses propositions pour qu’on ait un document plus inclusif, ouvert, qui regroupe tout le monde, pour que la conférence de Dakar en Novembre prochain puisse prendre en compte toutes les préoccupations régionales, afin que s’il y a des corrections à mener dans la politique, qu’elles soient faites et qu’elles reflètent l’ensemble des intérêts en présence. S’il y a de bonnes choses à garder dans la politique, qu’on puisse les documenter, qu’on puisse savoir précisément qu’est ce qui a réussi et qu’est ce qu’on doit garder, etc. En fait, le but de cette réunion de Lomé est une pré-rencontre importante de l’ensemble des acteurs de la région regroupés autour de la CEDEAO, pour démarrer ce travail de réflexion.

Avez-vous un dernier message à l’endroit des différents acteurs à tous les niveaux ?

Oui, à l’endroit de tout le monde et, en particulier des décideurs, je voudrais dire que l’Afrique n’est pas pauvre ! L’Afrique de l’ouest a une situation qui n’est pas conforme à son potentiel et notre potentiel jusqu’ici n’est pas valorisé et parce qu’il n’y a pas eu les politiques qu’il fallait et lorsqu’on a mis en place les politiques, leur application a fait défaut. Je crois qu’il nous revient à nous et à nous seuls, parce que personne dans le monde ne viendra le faire à notre place, de savoir où nous allons et où nous voulons aller et de travailler résolument à transformer nos agricultures par la transformation de nos habitudes, par la transformation de notre mode de vie, de consommation et de production, par notre intégration régionale au-delà des slogans, il faut que l’intégration soit un vécu quotidien.

Lorsqu’on produit du « cassava » des bananes plantains et autres dans notre sous région, il faut qu’ils puissent circuler librement partout dans la sous région parce que c’est un gage de sécurité alimentaire, c’est ce qui permet de lutter contre la pauvreté, c’est ce qui permet de créer la croissance et le développement dans la sous région. Les choses sont à portée de notre main, on n’a pas besoin d’attendre que les autres viennent le faire à notre place. Même l’aide qu’on attend de l’extérieur quelques fois, cet argent existe dans notre pays mais cela est détourné dans des directions qui ne sont pas favorables au développement. C’est à nous, si on le veut on peut le faire, et je crois que tout le monde est conscient de l’intérêt de changer, et je suis confiant aux idées qui sortiront de Dakar pour que nous changions de Cap.

Réalisé par Armand ATTISSO

Source : Afrikdepeche

Mots clés

Crédits: AK-Project